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La Cisjordanie en proie aux attaques meurtrières de colons escortés par l’armée israélienne

Le gouvernement d’extrême droite et l’armée israélienne sont accusés de complicité dans les attaques dévastatrices menées par les colons dans les territoires palestiniens occupés, faisant fi des sanctions américaines
Des Palestiniens en deuil portent les corps de deux hommes tués lors d’une attaque de colons dans le village d’Aqraba, en Cisjordanie occupée par Israël, le 20 avril 2024 (AFP)
Par Fayha Shalash à RAMALLAH, Palestine occupée

Amer Jabr attend que sa blessure guérisse pour pouvoir commencer à réparer et nettoyer sa maison détruite.

Située dans le village d’al-Mughayir, à l’est de Ramallah, en Cisjordanie occupée, celle-ci a été la cible d’une attaque dévastatrice de colons israéliens le vendredi 19 avril.

Au cours de l’assaut, Amer Jabr a été blessé d’une balle dans la cuisse et son fils de 14 ans touché au flanc par une balle composée de caoutchouc. Jabr décrit cette épreuve comme « l’une des expériences les plus horribles de mémoire récente ».

Cet incident faisait partie d’une série d’attaques de colons visant plusieurs villages palestiniens cette semaine-là, après l’annonce par les autorités israéliennes de la disparition d’un adolescent vivant dans une colonie, Binyamin Achimair (14 ans), au nord-est de Ramallah alors qu’il faisait paître des moutons.

Le corps de Binyamin Achimair a été retrouvé plus tard, mais personne n’a revendiqué la responsabilité de son décès.

Ces attaques ont causé la mort de quatre Palestiniens, tandis que des dizaines d’autres ont été blessés et près d’une centaine de maisons, de véhicules et d’infrastructures ont été détruits. Les assauts se sont produits sous la protection apparente de l’armée israélienne et ont marqué une escalade inquiétante de la violence à travers la Cisjordanie pendant quatre jours.

« Pendant l’attaque [menée par les colons], nous nous sommes résignés à la possibilité de mourir »

- Amer Jabr, habitant d’un village de Cisjordanie

En réponse, le bureau du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a qualifié la mort de l’adolescent de crime odieux, alors même que l’enquête sur l’incident était en cours. Netanyahou a juré de faire appréhender les responsables, mais a omis de mentionner les attaques des colons armés contre les familles palestiniennes.

Celles-ci ont eu lieu le jour même où le département d’État américain imposait de nouvelles sanctions aux colons israéliens d’extrême droite en raison de leur implication dans les violences en Cisjordanie.

Parmi les personnes sanctionnées figure Ben-Zion Gopstein, chef de Lehava, un groupe suprémaciste juif d’extrême droite qui a acquis une certaine notoriété en Israël pour avoir tenté d’empêcher les mariages entre citoyens juifs et arabes.

Le département du Trésor a également désigné le Mount Hebron Fund et Shlom Asiraich pour leur rôle dans l’établissement de campagnes de collecte de fonds en faveur de deux Israéliens d’extrême droite sanctionnés par les États-Unis.

Plus tôt cette année, Washington a sanctionné cinq colons violents et deux avant-postes illégaux en Cisjordanie.

Les sanctions n’ont toutefois pas dissuadé les colons de mener de nouvelles attaques.

Ambulances et pompiers bloqués

Lors de son seul jour de congé hebdomadaire, le vendredi 19 avril, Amer Jabr venait de terminer son déjeuner avec sa femme et ses quatre enfants dans leur maison située à la limite nord d’al-Mughayir quand soudain, un bruit lointain a attiré son attention, l’incitant à regarder par la fenêtre, d’où il a vu une trentaine de colons foncer vers son habitation et les propriétés voisines.

Amer Jabr a rapidement sécurisé les fenêtres et les portes, mais les colons se sont dispersés dans la cour, jetant des pierres sur la maison.

« Moi et mes frères, qui vivent à proximité, nous sommes précipités pour les affronter », raconte Amer Jabr.

« C’est à ce moment-là qu’ils m’ont tiré une balle dans la cuisse. Puis, alors qu’ils étaient plus nombreux, ils ont commencé à lancer des matériaux incendiaires sur la maison », ajoute-t-il.

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« En boitant, j’ai procédé à l’évacuation de ma femme et de mes enfants, avec l’aide de mes frères. »

Alors que la famille s’enfuyait, l’armée israélienne a ouvert le feu, touchant le fils de Jabr avec une balle composée de caoutchouc.

L’armée a empêché les équipes de secours de l’atteindre, alors qu’il perdait du sang, ou de soigner les nombreux blessés. Inévitablement, une personne a succombé à ses blessures.

L’obstruction s’est étendue aux équipes de pompiers, entravant les efforts qu’elles déployaient pour éteindre les flammes qui ravageaient plusieurs maisons, entraînant d’importants dégâts matériels.

« Pendant l’attaque, nous nous sommes résignés à la possibilité de mourir », confie Amer Jabr à Middle East Eye. « Nous n’avons jamais envisagé l’idée d’abandonner notre maison. Où irions-nous ? C’est ici que nous vivons, ici que nous mourrons. »

Les colons ont également pris pour cible les habitations des quatre frères d’Amer Jabr, situées à proximité de leur maison d’enfance, à la périphérie du village.

Les autorités israéliennes ont construit une route pour les colons à seulement quelques centaines de mètres des maisons de ses frères, privant les Palestiniens d’un semblant de vie normale. Ces maisons sont fréquemment la cible de la violence des colons, mais cette attaque, note Amer Jabr, a été particulièrement terrible car marquée par l’utilisation d’armes au lieu de simples pierres.

S’approcher de la route des colons, construite sur des terres palestiniennes, signifie désormais s’exposer à des tirs d’armes à feu.

Complicité de l’armée israélienne

L’armée israélienne accompagne généralement les colons lors de leurs attaques des villages palestiniens, comme en témoigne une vidéo en provenance du village de Beitin, à l’est de Ramallah, où l’on voit des colons incendier un véhicule palestinien alors que des soldats israéliens se tiennent à proximité.

Cette observation a été soulignée dans un rapport publié le 17 avril par Human Rights Watch. Celui-ci indique que l’armée israélienne a participé ou n’a pas protégé les Palestiniens face aux violentes attaques des colons en Cisjordanie. Ces attaques ont entraîné le déplacement d’habitants de vingt communautés et le déracinement total d’au moins sept communautés depuis le 7 octobre.

« Il s’agit d’un crime à part entière et d’un échange de rôles entre l’armée, le gouvernement et les colons »

- Salah Jaber, maire d’Aqraba

Entre le 7 octobre et le 3 avril, l’ONU a enregistré plus de 700 attaques de colons, la présence de soldats en uniforme étant signalée dans près de la moitié d’entre elles. Ces attaques ont entraîné le déplacement de plus de 1 200 personnes, dont 600 enfants, des communautés rurales d’éleveurs. En outre, au moins 17 Palestiniens ont été tués et 400 blessés, tandis que les Palestiniens ont tué 7 colons en Cisjordanie depuis le 7 octobre, selon les estimations de l’ONU.

Les attaques des colons contre les Palestiniens ont atteint leur plus haut niveau en 2023, avant même l’opération menée par le Hamas en Israël le 7 octobre, qui a coûté la vie à quelque 1 100 personnes dans le pays, selon l’organisation.

« L’armée n’a pas assuré aux habitants déplacés qu’elle garantirait leur sécurité ou qu’elle leur permettrait de rentrer chez eux, les obligeant à vivre ailleurs dans des conditions précaires », ajoute le rapport.

Après le 7 octobre, l’armée israélienne a convoqué 5 500 colons qui officient en tant que réservistes dans l’armée israélienne, notamment certains individus ayant des casiers judiciaires pour des violences commises contre les Palestiniens, et les a affectés aux bataillons de « défense régionale » de Cisjordanie.

Selon Haaretz et des ONG israéliennes de défense des droits de l’homme, les autorités israéliennes ont distribué 7 000 armes aux membres du bataillon et à d’autres individus, y compris aux « escouades de sécurité civile » établies dans les colonies.

Selon les médias israéliens, les colons ont laissé des tracts et envoyé des menaces sur les réseaux sociaux aux Palestiniens après le 7 octobre, les avertissant par exemple que s’ils ne « fu[yaient pas] en Jordanie », ils seraient « exterminés », ou annonçant que « le jour de la vengeance approch[ait] ».

Le rapport ajoute que « les colons israéliens ont agressé, torturé et commis des violences sexuelles contre des Palestiniens, volé leurs biens et leur bétail, menacé de les tuer s’ils ne partaient pas définitivement, et détruit leurs maisons et leurs écoles sous couvert des hostilités en cours à Gaza. »

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Salah Jaber, le maire d’Aqraba, au sud de Naplouse, confirme ces faits à MEE. Il a été témoin lundi dernier de la mort par balles de deux Palestiniens tués par des colons, sous la protection totale de l’armée israélienne.

Selon l’édile, plus de 70 colons ont attaqué des maisons palestiniennes dans la zone orientale du village, incitant les habitants à leur faire face. Au cours de l’affrontement, des colons armés ont ouvert le feu sur les Palestiniens, tuant Abd al-Rahman Bani Fadel (30 ans) d’une balle dans le cou et Muhammad Bani Jama’a (21 ans) d’une balle dans la poitrine. Plus de dix autres personnes ont été blessées de diverses manières.

L’armée israélienne a immédiatement arrêté les deux jeunes hommes alors qu’ils étaient blessés et a empêché les ambulances de les atteindre. Les autres blessés ont réussi à s’échapper vers les véhicules des habitants puis vers les centres médicaux.

« Lorsque les soldats israéliens ont confirmé que les deux jeunes hommes étaient morts, ils en ont informé la Liaison civile palestinienne… mais Israël a jusqu’à présent refusé de restituer leurs corps, même s’ils ont été tués par les balles des colons alors qu’ils se trouvaient dans la cour de leurs maisons », indique Salah Jaber.

« Il s’agit d’un crime à part entière et d’un échange de rôles entre l’armée, le gouvernement et les colons. »

Il y a un mois, rapporte Jaber, les colons ont tué un jeune homme dans la même zone, laquelle connaît des procédures de confiscation et de démolition d’habitations sous prétexte qu’elles ont été construites sans permis.

En parallèle, les colons attaquent les habitants sans aucune justification. « Tout cela signifie qu’il existe un plan clair visant à déplacer les Palestiniens de toute cette zone », estime-t-il.

Depuis l’arrivée du nouveau gouvernement israélien il y a deux ans, cette région a fait l’objet de décisions de confiscation et d’avis de démolition, et 8 000 dounams de terre [800 hectares] ont été confisqués pour des projets de colonisation au cours des deux dernières années seulement.

Les colons de ces zones utilisent la colonisation pastorale comme moyen de s’approprier les terres palestiniennes, empiétant sur la périphérie de leurs propriétés, ajoute Salah Jaber.

Gouvernement pro-colons

La recrudescence des attaques de colons n’est pas perçue comme un hasard par les Palestiniens mais plutôt comme une politique israélienne délibérée depuis que le gouvernement actuel a pris ses fonctions début 2023.

Amir Daoud, porte-parole du Comité de résistance au mur de l’apartheid et aux colonies, explique qu’Israël a établi un cadre législatif, juridique et logistique complet qui permet non seulement aux colons de mener des attaques en Cisjordanie et à Jérusalem, mais leur donne également le pouvoir de réaliser des actions pour affirmer leur contrôle sur le terrain.

Ces attaques visent plusieurs objectifs clés, développe-t-il pour MEE, notamment le déplacement forcé des communautés bédouines des contreforts orientaux et la collaboration de l’armée israélienne dans l’imposition d’un système de bouclage des Palestiniens en Cisjordanie depuis octobre. Ces fermetures empêchent les agriculteurs d’accéder à leurs terres.

« Il est évident qu’il existe une relation fonctionnelle entre les deux, l’institution officielle [israélienne] attribuant de nombreuses tâches infâmes aux colons »

- Amir Daoud, Comité de résistance au mur de l’apartheid et aux colonies

Les colons interdisent actuellement aux Palestiniens l’accès à 410 000 dounams (41 000 hectares) de leurs terres, dont 75 % sont concentrés dans les contreforts orientaux et la vallée du Jourdain.

« Le gouvernement israélien actuel est dominé par les dirigeants des colonies qui mettent en œuvre des politiques d’expansion coloniale », déclare Amir Daoud. « Ces politiques consistent notamment à légitimer les avant-postes d’implantation construits par les colons et à rétablir les activités de colonisation dans le nord de la Cisjordanie en modifiant la loi sur le désengagement à la Knesset. »

Après le début de l’offensive militaire israélienne à Gaza, le ministre des Finances Bezalel Smotrich a plaidé en faveur de l’établissement de zones tampons autour des colonies de Cisjordanie. Amir Daoud indique que son comité a observé la publication de trois ordres militaires qui ont de fait mis en œuvre ces zones tampons.

Selon les données du comité, les attaques de colons ont connu une forte hausse en 2023 par rapport à 2022. En 2022, 1 180 attaques avaient été enregistrées, entraînant la mort de 6 Palestiniens et le déracinement de 9 000 arbres. En 2023, 2 400 attaques de colons ont été recensées, entraînant la mort de 26 Palestiniens, dont 16 depuis le 7 octobre. Quelque 18 000 arbres ont par ailleurs été déracinés.

« Nous sommes confrontés à un gouvernement qui soutient le terrorisme des colons », déplore Amir Daoud. « Il existe une institution officielle, représentée par l’armée, le gouvernement et la Knesset, ainsi qu’une institution non officielle représentée par les milices de colons. Cependant, il est évident qu’il existe une relation fonctionnelle entre les deux, l’institution officielle attribuant de nombreuses tâches infâmes aux colons. »

Imposer un fait accompli

Firas Yaghi, analyste politique et expert des affaires israéliennes, estime que les développements en cours en Cisjordanie et à Jérusalem visent à façonner la résolution du conflit dans la région conformément au plan proposé par Smotrich.

Il s’attend à une hausse de l’expansion des colonies et des provocations de la part des colons en Cisjordanie dans un avenir proche. Il prévoit notamment des efforts visant à expulser les communautés bédouines restantes ainsi que le début de la construction de milliers de logements pour colons sur plus de vingt nouveaux sites sur des terres palestiniennes.

« À mon avis, la politique centrale israélienne consiste à imposer un nouveau fait accompli, principalement géré par les colons », déclare-t-il à MEE.

« Nous nous attendons à ce que l’armée israélienne s’appuie sur les milices de colons pour affronter les Palestiniens en Cisjordanie. Cette escalade pourrait même s’étendre à la mosquée al-Aqsa, notamment après les déclarations du [ministre de la Sécurité nationale Itamar] Ben-Gvir sur une éventuelle loi visant à faciliter les prières des colons sur le site. »

Firas Yaghi estime néanmoins que l’ouverture d’un nouveau front en Cisjordanie, région déjà instable en particulier après le 7 octobre, amplifierait le fardeau d’Israël et l’isolerait davantage sur la scène internationale.

Il remarque cependant que les colons ne se laissent pas dissuader, motivés par leurs desseins pour Jérusalem et la Cisjordanie. L’analyste avertit que les efforts déployés par les colons pour imposer une nouvelle réalité pourraient pousser les Palestiniens de la région vers une autre intifada.

Traduit de l’anglais (original).

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